Vous avez tous deux disputé beaucoup de matchs à élimination directe. Comment se déroule la semaine qui précède un match de cette importance ? Comment l’ambiance évolue-t-elle et que faut-il faire pour réussir ?
Israël Dagg (ID) : Il ne faut pas s’éparpiller. Il faut commencer par y mettre plus d’intensité et tout faire avec un sentiment d’urgence. C’est dans ces petits efforts supplémentaires, ces petits moments sur le terrain que les grands matchs se gagnent.
C’est une semaine géniale. Tout le monde veut connaître ça, mais seuls quelques heureux élus y parviennent. Il faut se saisir du moment. Y puiser toute l’énergie requise, s’imprégner de l’ambiance qui règne dans la rue.
Leonardo Senatore (LS) : Je dis toujours qu’un match se compose de 80 à 100 petites batailles d’une minute ou moins, qui s’additionnent pour donner un bon résultat. D’autre part, il est important que chacun se concentre sur ce qu’il a à faire.
Bien sûr, il faut aussi avoir des moments où on peut se relaxer, profiter des lieux. En 2011 par exemple, on était allés se promener à Auckland. Mais c’était très difficile parce que tout le monde dans la rue portait le maillot des All Blacks !
Les All Blacks ont-ils retrouvé leur aura après leur performance contre l’Irlande ?
ID : Je n’ai jamais pensé qu’elle avait disparu, pour être honnête. Simplement, toutes les équipes sont tellement bonnes maintenant, tellement compétitives, et il y a le fait que les All Blacks n’inspirent plus la même peur. Ça, oui, c’est fini, mais l’aura de cette équipe restera toujours présente. Ce maillot noir représente quelque chose de si puissant. C’est une couleur simple mais très puissante. C’est pour ça qu’on l’aime.
Où en est l’équipe d’Argentine ?
LS : Les Pumas ont réussi un match extraordinaire contre le pays de Galles. Sur le plan mental et sur le plan des émotions, c’était exceptionnel de leur part. Ils ne brillent peut-être pas par leur style de jeu, mais ils possèdent une caractéristique qui rend invulnérable en sport de haut niveau, à savoir la combinaison de la tête et du cœur. Ça fait la différence.
Quel est l’effet de l’histoire et des performances passées sur les matchs de ce genre ?
LS : Vendredi, tout ce qui s’est passé jusqu’à présent n’aura plus d’importance. Ces joueurs sont nés, ou ont tous au moins rejoint les Pumas à l’époque du Rugby Championship, qui comprenait un match annuel contre les All Blacks. À l’époque où je jouais, en 2011, certains joueurs portaient le maillot argentin depuis dix ans et n’avaient jamais affronté la Nouvelle-Zélande.
Aujourd’hui, la pression du statut de favori pèsera probablement davantage sur la Nouvelle-Zélande, mais l’Argentine se présentera sur le terrain sur un pied d’égalité.
L’Argentine peut-elle s’appuyer sur sa victoire 25-18 à Christchurch en 2022 pour ce match ?
ID : Les Pumas prendront tout ce qu’il y a à prendre dans ce match. Quand ils ont fait cette tournée en Nouvelle-Zélande, ils avaient vu ce que l’Irlande avait réussi à faire. Et ils sont venus nous battre chez nous. Ils ont été très bons en touche, ils nous ont mis sous pression dans les mauls. Leur défense a été remarquable. Ils ont réussi à nous asphyxier, ils nous mettaient debout, ils nous tenaient, c’était une lutte permanente et ça nous a empêchés de gérer le ballon comme on le voulait. Ils ont frustré les All Blacks.
Franchement, à leur place, je passerais le match en boucle.
LS : D’une certaine manière, cette victoire nous a permis d’humaniser les All Blacks. Avant ça, ils étaient invincibles, ils n’avaient jamais été battus [par l’Argentine]. Aujourd’hui, ils reconnaissent aussi que les Pumas leur ont fait mal, non seulement sur le terrain mais aussi au plus profond d’eux-mêmes. Oui, ils restent peut-être meilleurs que nous, ils ont une histoire bien plus longue que nous et on les admire, mais vendredi, on est capables de les battre.
Que doit faire l’Argentine pour avoir une chance de réussir sur ce match ?
ID : Si les Argentins parviennent à marquer des points rapidement, ils seront difficiles à battre. Il va leur pousser un bras et une jambe supplémentaires.
LS : Il faut qu’ils entrent immédiatement dans le match et qu’ils marquent avant la Nouvelle-Zélande. Pour aller un peu plus loin dans le détail, je dirais qu’il faut conserver une excellente coordination dans les phases statiques et mettre une énorme pression sur les All Blacks à partir de là. Il faut aussi qu’on déploie un jeu au pied optimal et qu’on remporte les duels aériens en s’appuyant sur Emiliano Boffelli, qui a montré sa classe dans ce domaine.
À l’inverse, comment les All Blacks peuvent-ils sortir vainqueurs de ce match ?
ID : Ils doivent jouer leur propre jeu. Ils ont affronté les Pumas plus tôt dans l’année à Mendoza et les ont battus assez facilement. Il faut juste qu’ils jouent leur jeu, que chacun maîtrise son rôle à la perfection, et c’est ce qu’ils font jusqu’ici.
LS : Je ne répondrai pas à cette question !
Après un match comme ce quart de finale contre l’Irlande, est-il difficile de retrouver une telle intensité ?
ID : Seules les grandes, les très grandes équipes peuvent enchaîner après une telle performance. Ça va être difficile, pas sur le plan mental, parce que c’est une demi-finale de Coupe du Monde, mais parce qu’il y a une interrogation quant à l’état physique de chacun après ce combat. Entre le peu de jours entre les deux matchs, le fait d’avoir effectué environ 250 plaquages dont 71 dans les 37 derniers temps de jeu du match... Il y a eu un déploiement d’énergie énorme.
Si vous deviez disputer ce match, quel serait votre dernier message à vos coéquipiers avant le match ?
ID : Je parlerais probablement de l’aventure vécue jusque-là. J’évoquerais l’occasion de faire en sorte que nos légendes quittent l’équipe sur une bonne note. Il n’y aura rien de facile, mais on a cinq millions de supporters à la maison qui nous aiment et veulent nous voir réussir. Ensuite, je lancerais quelques bons jurons, quelques hurlements, histoire de faire le plein d’énergie et de mettre tout le monde dans le bon état d’esprit.
LS : Je leur dirais qu’on va gagner. Qu’on doit faire tout ce qu’on a prévu. Avoir la même routine qui permet de garder les pieds sur terre pour pouvoir faire ce qu’il faut pendant le match. Je mettrais beaucoup l’accent sur ce point et sur la nécessité d’être présent pour les plus jeunes joueurs.
Enfin, vos pronostics s’il vous plaît ?
ID : Je dirais 35-12 pour... les All Blacks.
LS : Je ne veux pas leur porter la poisse. Mais j’ai le pressentiment que les Pumas vont gagner.